Le banc des oubliés

Cela faisait quelques jours que Callie était arrivée. D'abord il y avait eut le chaos du hall d'entrée. C'est simple : chaque semaine, un nouvel arrivage d'hommes et de femmes arrivait. Le nombre était variable. Chaque personne se réveillait dans un cachot, et tous les cachots s'ouvraient en même temps. Le dédale de couloir les menant tous au même endroit : le hall d'entrée le plus lugubre au monde. Callie se rappelle de son arrivée, de la peur qui lui avait rongé le coeur. Elle se souvient de tous les regards apeurés et les cris lorsque d'un même mouvement les yeux autour d'elle s'étaient tournés vers le plafond pour observé l'ours en peluche se balançant mollement comme un lustre, pendu à une longue corde. Ce jour là avait été éprouvant.

Depuis elle n'avait pas beaucoup bougé, limittant ses déplacements le plus possible afin de se rassurer, de se dire que cet endroit pouvait être normal. Ainsi elle n'avait fait que sortir du hall pour aller jusqu'a ce banc, un petit banc en pierre qu'elle trouvait moyennement confortable, mais sur lequel il était appaisant de s'oublier. La nuit, elle avait dormi dans le dortoir au premier étage, car elle avait entendu des personnes en parler. Elle les avait suivie furtivement, et avait grimpé derrière eux les escaliers sombres et grinçant pour découvrir une salle ou s'entassait des dizaines de lits. Mais ce n'était pas un endroit agréable. En réalité, le seul endroit rassurant était dehors, là ou l'enfant avait été se recueillir tous les jours depuis son arrivé.

Petite silhouette, forme immobile sur un banc, Callie restait stoïque depuis un bon moment déjà. Elle ne bougeait pas le moindre membre, et sa posture, droite et distinguée, ne ressemblait guère à celle qu’aurait adopté une enfant normale en de telles circonstances : à savoir, recroqueviller sur elle-même, se balançant nerveusement d’avant en arrière, d’une façon tout à fait ridicule, mais qui traduirait pourtant si bien son angoisse. Ou était-elle ? Sa question intérieur restait en suspend, comme le balai de feuille virevoltant avec le vent. La fillette essayait de concentrer son esprit sur des détails du paysage : un insecte sur la branche d’un buisson, un écureuil passant juste devant elle à toute allure, un oiseau fendant un ciel colorée de mille couleur, le bruit du vent dans les arbres et cette sensation de fraicheur lorsqu’il s’engouffrait dans ses cheveux blonds. Cette exercice lui était habituel, elle aimait capter des bribes de vie en passant près des fenêtres, ou juste observer l’oscillation lente et harmonieuse de l’herbe lorsque des bourrasques l’effleuraient. C’était reposant, cela calmait bien l’enfant, qui, en l'absence d’un crayon et d’une feuille, ne savait pas comment extérioriser sa peur… sa peur de ce lieu. Lugubre, moche, salle, ce n’était certainement pas l’endroit rêvé des petites filles de son âge- ou de n’importe qui, réflexion faite. Plus Callie tentait de réfléchir, moins elle comprenait le pourquoi de sa présence entre ces murs. Etait ce Rose ? Peut être avait elle fait quelque chose de mal… Rose faisait souvent des bêtises, la plupart du temps Callie faisant semblant de ne pas s’en rendre compte, mais au fond, elle savait bien. Rose n’était de toute façon qu’une vrai mule qui n’en fait qu’à sa tête, mais Callie l’aimait quand même, c’était sa Rose. 

Les gens qu’elle avait croisé étaient très bizarres, ils ne lui parlaient pas, à peine s’ils se rendirent compte de son existence, la fillette se retrouvait donc toute seule, abandonnée à ses pensées, sur un banc froid et dur. Elle était toujours en train de se débattre intérieurement avec les questions qui semblaient être de plus en plus nombreuses au fur et à mesure qu’elle s’interrogeait sur ce lieu, elle n’arrivait pas à comprendre, ne savait même pas s’il y avait quelque chose à comprendre. L’air se rafraichit et l’enfant frissonna, tournant légèrement la tête, elle s’aperçut qu’elle n’était pas seul à rêvasser. Une femme, scrutant un point mort quelque part devant elle, était aussi tout entièrement à ses pensés. Elle-même n’avait pas remarqué la présence de Callie, elle était surement préoccupé (qui ne pouvait pas l’être ici ?) Le lieu n’était pas vraiment utopique, et laissait une certaine frustration dans les yeux de la petite fille. La jeune femme fredonnait un air de musique, Callie venait de le remarquer… avait elle été trop absorbée par ses observations pour ne pas entendre les notes lentes et régulières plus tôt ou la musique venait elle juste de commencer ? Elle n’aurait pu le dire, de la même manière qu’elle ignorait complètement si la dame à la chanson avait été là avant elle ou si elle l’avait rejoint. A vrai dire, elle n’y avait pas fait attention, la femme non plus sans doute.

La petite observait toujours le visage concentré de sa voisine de pensés, ne pouvant s’empêcher d’imaginer le fil de celle-ci, lorsque le poids du regard de la fillette finit par attirer son attention. Les petites joues déjà rose de Callie s’empourprèrent encore plus, c’était comme si elle s’était senti coupable, elle tenta un sourire timide et lança une main hésitante devant elle, les paumes ouvertes, à la manière des hommes d’affaires importants, elle attendit en se présentant. Toute la naïveté de l’enfance était présente dans cette simple phrase :

« Bonjour, je m’appelle Callie-Joe, et toi ? »

Ces dernières semaines avaient étaient durs, et pourtant Alaska en avait connu d'autres. Elle s'était assise sur ce banc pour faire le vide dans son esprit afin d'accepter cette situation étrange qui, et elle du bien se résoudre à l'accepter, n'était pas un de ces rêves étranges duquel elle se réveillerait trempé de sueur.

Il lui sembla bien être resté assise dans la même position durant plus d'une heure. Ce fut exactement le temps qu'il lui fallut afin de se sentir bien. Voila, la réalité avait été digéré et mastiqué, et la jeune femme se sentait maintenant plus forte, car il fallait se rendre à l'évidence : les crises de panique de ces derniers temps l'avaient rendu vulnérable psychologiquement. Sa coquille de protection venait de se recréer en une solide muraille autour de son être. Elle s'appliqua néanmoins un peu plus longtemps afin de consolider ses fondations car elle ne doutait pas que ce lieu jouerait bien vite au chat et à la souris avec ses nerfs. Pendant cette longue concentration, elle accompagna son effort par un sifflotement irrégulier sans en prendre conscience et sa surdité ne l'aida pas plus à se rendre compte de ce qui se mua bientôt en un fredonnement discret. Oui, au milieux de cet enfer, Alaska s'était bel et bien mise à chanter, preuve qu'elle avait enfin repris le contrôle d'elle même.

Un courant d'air effleurant ses cheveux emmêlés, Alaska arrêta son esprit un instant pour gouter à la fraicheur de la douce rafale. Puis elle laissa ses yeux se balader sur la cour, vide, et qu'elle devina silencieuse. Les arrivées étaient régulière avant, puis, elles avaient stoppées inexplicablement. Détournant la tête pour observer l'ensemble de la cours, Alaska fut presque surprise de voir ce petit bout de femme assise près d'elle, à rêvasser également. Elle avait déjà pu croiser l'enfant auparavant et avait d'ailleurs bien remarqué qu'elle faisait partie du groupe des derniers venus. C'était il y a deux trois jours environs. Alaska était peut être là depuis trois semaines, et elle avait pu s'habituer à observer le défilement des arrivages, toujours par la grand hall. Mais cette petite, c'était le seul visage d'enfant qu'elle avait croisé jusque là. Le cœur de la jeune femme s’emplit alors d'un sentiment de compassion, de tristesse, puis de rage. La colère montait en elle sans qu'elle ne put l'en empêcher. Comment pouvait-on faire ça à une enfant ? Personne ne chercherait donc à venir la chercher ?

*Moi je suis seule, et j'ai mérité ce qu'il m'arrive, mais cette fillette... *

Dans les traits pures et enfantins de son visage, Alaska cru reconnaître quelqu'un. Un vieux souvenir refoulé survint alors... Celui de sa sœur. Et la colère monta encore jusqu'à ce qu'elle sente le regard de la blondinette scruté son visage.

*Me regarde-t-elle depuis longtemps ? *

Dans un ultime effort, elle se reforgea une expression neutre, tourna son regard vers un lointain imperceptible. Comme d'un commun accord, l'enfant baissa aussi les yeux. Quelques minutes passèrent avant qu'Alaska ne vit une main se tendre devant elle, la dérobant à ses pensées. Semblant chercher ses mots, la fillette prit quelques secondes avant de se présenter de la manière la plus... simple du monde. Cette simplicité propre à l'enfance : une phrase courte, menant à l’essentiel, pas de formules de politesse superflus, pas de timidité, juste une franchise précise qui a au moins l'avantage de ne pas tourner inutilement autour du pot.

Alaska hésita. Elle s'était toujours imposé la méchanceté comme réponse à la gentillesse, à l'altruisme ou l'aide qu'on lui proposait. Méfiante, mais surtout fermement convaincu que tout ce qui arrive à une cause. Ainsi chaque malheur est une punition que l'on doit dignement accepter selon elle. Mais face à cette enfant, elle n'avait pas le courage de se lever et partir. De ne pas lui adresser la parole, de ne pas sourire et la rassurer. Était ce un quelconque instinct maternel ? Le fait est qu'Alaska ne fut ni méprisante, ni agressive comme elle l'était habituellement et répondit à la petite Callie de manière laconique.

Elle fut d'abord surprise d'un prénom si peu commun ce à quoi Alaska répondit en citant le prénom de l'enfant qu'on n'avait pas non plus coutume d'entendre. Sans le savoir encore et malgré une conversation brève et concise, une complicité était en train de naitre entre ces deux êtres.

Lorsque la demoiselle la regarda, Callie sentit la colère monter en elle, une sorte de haine contenue brilla dans ses yeux. Ca ne faisait pas peur, non, mais la fillette se sentit coupable. Avait-elle fait quelque chose de mal ? Peut être n’aurait elle pas du l’observer comme ça… Callie n’aimait pas beaucoup les gens d’ici, ils étaient étranges et la fillette, qui arrivait plutôt bien à deviner les réactions des gens qu’elle s’amusait à observer en temps normal, était complètement décontenancée lorsqu’ici rien ne se passait comme elle en avait l’habitude. Ici, tous le monde était un peu fou. Elle était arrivée à cette conclusion dans l’après midi, lorsqu’elle avait croisé un homme qui marchait, l’air sérieux, droit comme un i et la tête haute. Alors qu’elle passait à coté de lui, le personnage se mit à parler tout seul avant de se rouler par terre. Eut-elle était moins surprise, Callie aurait certainement rit aussi, et de bon cœur. Mais en vérité, elle était terrifiée. Les « pourquoi » se bousculaient dans sa tête, est-ce que cet endroit rendait fou ? Elle essayait de balayer ses pensées mais rien à faire, elles revenaient sans arrêt. 

L’éclat de colère que Callie avait cru percevoir dans les yeux de l'inconnue s’effaça presque aussi rapidement qu’il était arrivé. L'enfant avait tendu la main et attendit qu’on la lui serre, ce que fit bientôt Alaska en se présentant d’un air sérieux. Callie apprécia, elle n’aimait pas du tout qu’on le prenne pour une gamine, ce qu’elle était pourtant. Après un court échange un sourire se dessina sur son petit visage, et elle se désintéressa de sa voisine de banc pour planter ses yeux sur ce qu’Alaska avait observé quelques minutes auparavant.

Elle finit par rompre le silence reposant qui s’était installé dans la cour. Ses yeux bleus pétillèrent de curiosité et lorsqu'elle posa sa question celle ci sembla sortir directement de la continuité de ses pensées, comme si d’un seul coup, elle avait décidé de réfléchir à voix haute.

Quand je sortirais, je voudrais aller à la patinoire. Rose et moi, on aime bien glisser sur le sol mouillé et brillant, c’est comme si tu volais, mais sur l’eau. Tu feras quoi toi, quand on viendra te chercher ?

Elle la regarda, l’air grave. C’était pour elle une question importante, pas si naïve que ça. Derrière les mots, dans le léger tremblement de sa voix, on percevait la plainte. Ce n’était pas une question, plutôt une prière, une supplication pleine d’espoir. Callie aurait voulu qu’on lui mente, qu’on lui dise que tout ça n’était qu’un mauvais rêve, que toute sa vie n’était qu’une illusion. Elle aimerait se réveiller un matin, sans plus exactement savoir ou elle se trouve, ni vraiment qui elle est, pour tout recommencer. 

Parce qu’on va sortir hein ?

La question de l’enfant n’avait pas était prononcée, mais pensée tellement fort, avec une telle conviction qu’on aurait pu la lire sur ses lèvre, ou entendre le vent la chuchoter dans l’air.

Leopold marcha lentement dans la cours, faisans craquer les gravier sous ses lourdes bottes. Il redressa la tête et vit une jeune femme et une enfant au loin.

*Bah ça alors, même une gosse ? Il se refuse rien ce p'tit connard de scientifique !* pensa Leopold en souriant. Et c'était d'ailleurs ça le plus marrant, il savait encore rire dans une pareille situation.

Il tira sur sa cigarette, unique amie dans la quasi totalité de sa vie. Elle était encore fidèle au poste, même ici. Que devait-il faire ? Aller leur parler ? Toute façon il n'avait que ça à faire, et puis il s'emmerdait, et puis il avait envie de rire. Il s'approcha donc, ses pas étaient réguliers et assez grands, il avait tout sauf peur ici, c'était même reposant comme endroit, à part que la décoration était un peu trop lugubre et que le propriétaire était un peu trop con, mais sinon ça allait. Une fois arrivé devant la jeune femme et la petite fille, il se posa sur le banc à côté de la jeune femme, elle était d'ailleurs pas si mal que ça, Leopold n'allait pas s'ennuyer. Par contre, il préférait éviter la petite fille, il n'aimait pas les gosses, toujours avec leurs niaiseries et à l'emmerder avec des questions idiotes.

"Alors ? Comment que ça va ? Pas trop seule ? Non parce que je peux arranger ça." dit-il en riant. C'était plus fort que lui, il devait toujours charmer les belles femmes. De plus, son énorme voix résonna dans l'espace vide de la cours, ce qui sembla apeurer la petite fille. Toute façon il en avait l'habitude, ça faisait toujours ça avec les gosses, néanmoins, si elle ne le faisait pas chier, il allait peut-être se retenir de lui mettre une claque.

Leopold se posa ensuite contre le banc, mit sa jambe droite sur la gauche et tira sur sa cigarette, profitant de cette ambiance lourde et sinueuse pour s'imaginer les pires scénarios de films d'horreur croisés avec un porno. Ca devrait faire fureur si c'était tourner ici !

Un sifflement, un murmure, un bruit de fond indistinct. Alaska tourna la tête vers l'enfant mais pas assez tot pour lire le début de sa phrase. Tout ce qu'elle pu comprendre fut la question avec laquelle elle conclut et pourtant, elle su immédiatement qu'elle avait saisit le plus important.

Quand on sortira...

Les enfants, ça n'avait jamais été sa tasse de thé. Déjà dans son enfance même, les autres enfants se liguaient contre elle, alors, adulte, elle n'avait jamais vraiment oublié ce sentiment. Une vieille rancune. Mais là, devant cette fillette, qui aurait bien pu la regarder dans le fond des yeux et lui dire que sa vie était finis ou allait finir ici et certainement pas dans la paix de l'âme ? Alors tiraillée entre ces deux sentiments, Alaska opta pour ce qui semblait s'imposer : le silence. Oui, ça peut paraître faible et facile d'utiliser des silences lorsque la conversation n'est pas a son avantage, mais à chacun sa méthode de fuite après tout. Ce silence aurait tout aussi bien pu se prolonger, si un son rauque ne fit pas détourné le regard de la jeune femme et sursauter le corps de l'enfant.

Un homme, l'air assez dépravé, le genre de visage abîme et le regard absent, stéréotype du pédophile, tueur en série, bref : un homme qui n'inspire pas vraiment confiance. Il vint se poser sans trop de délicatesse à côté d'Alaska mais cette dernière ne bougea pas d'un cil. Des grosses brutes et des gens louches elle en avait connus, et Dieu sait combien lui avait tapé dessus. Elle avait appris avec le temps que quoi que tu fasse c'est la même chose, et sa philosophie de cause à effet lui avait appris a accepter. C'était cet homme sorti de nul part qui allait l'effrayer. L'homme lanca une question, que la jeune fille attrapa au vol, et dont elle comprit le principal pour répondre avec lassitude :

Très sympa l'approche. Tu l'as apprise par coeur et tu la ressors à chaque fois ?

Elle n'était pas seule non. D'ailleurs, un bref mouvement de tête lui appris que Callie n'était pas vraiment à son aise. Livide, elle avait recroqueviller ses genoux contre sa poitrine et prenait bien gare a rester derrière Alaska de façon a ne pas être vu. Elle avait le regard aussi vide que lui d'ailleurs, et, ce regard malsain sur un visage aussi tendre, la rendait d'apparence encore plus terrifiante que l'autre.

L'homme sourit à la remarque de la jeune femme, elle se méfiait de lui, comme quelqu'un de "normal" dans un endroit tout à fait anormal. Il se contenta de rire tout en reniflant, puis la regarda dans les yeux.

"Ma foi, parfois je change, là je viens de me réveiller et j'ai chopé une belle cuite la nuit dernière, donc l'imagination me fait faux bond. Oh et puis je suis pas d'un naturel romantique tu sais, faut pas trop t'étonner de mon approche abrupte." fit-il en lui tapant sur la cuisse, geste amical qu'il faisait avec la plupart des gens.

Il termina ensuite sa cigarette, balançant le mégot au loin. Cependant, il ressentit une sensation bizarre, très particulière. Il ressentait un manque, il venait pourtant à peine de fumer, mais l'envie se faisait de plus en plus sentir.

*Putain, ça c'est pas normal ... faut que je trouve un truc à fumer, à boire ou à baiser ... sinon je vais pas y arriver.* se dit-il, alors qu'il se tournait de nouveau vers la jeune femme. Il la regarda fixement, pendant au moins cinq minutes, et l'envie de lui sauter dessus se faisait de plus en plus sentir. Cependant, il ne savait dire d'où venait cette envie soudaine. Il voulait se contenir, par pure maîtrise de soi, mais c'était difficile, il plaça sa main sur le bras de la jeune femme, un peu hésitant, il la regarda encore et encore, il rapprocha sa bouche de son oreille, légèrement, il murmura quelques mots.

"Aide moi ..." fit-il, cela ne lui ressemblait pas, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, il lâcha la jeune femme, se retira du banc, puis se mit à genoux, plaçant sa tête juste devant la jeune femme, il était comme attiré vers elle. Pourquoi ? Il ne le savait pas, il devait la toucher, la sentir près de lui, sinon il se sentait mal, très mal. Il mit sa tête sur ses cuisses, tandis que des larmes commencèrent à couler pour une raison inconnue. A ce moment, Leopold se dégoûtait, pourquoi ? Il se sentait faible, horriblement faible. Pourquoi était-il attiré vers cette femme qu'il ne connaissait que depuis quelques minutes ?

*Putain, ça doit être cet enfoiré de Doc, il a dû me bricoler ... putain !* pensa Leopold, essayant de résister, mais c'était trop fort pour lui.

"Ne pars pas, j'ai besoin de toi ..." fit-il à la jeune femme, ces mots sortirent tout seul de sa bouche, il ne se contrôlait plus, ce qui le fit encore plus rager intérieurement.

L'homme justifia son approche plutot bien. Alaska pensa pendant quelques secondes qu'il n'avait pas l'air si désagréable au fond. C'est à ce moment là qu'il lui tapa sur la cuisse. Le geste de trop. Les rapports physiques n'étaient pas le dada de la jeune femme, et quand on tapait, elle sursautait immanquablement. Lui ne sembla pas relever le mouvement cependant.

Quelle était donc cette manie archaïque de se donner ce genre de tape sur l'épaule ou la cuisse ? Un genre de "j't'aime bien mais je suis trop con pour formuler la phrase, c'est plus parlant si je donne un petit coup ?"
Bien un truc de mec ça.

Bref, pour en revenir à cet homme qu'Alaska décida de qualifier de rustique, elle préféra s'en détourner. C'était sans compter son regard lourd qui semblait martelait contre l'épaule, le visage, et tout le corps de la jeune femme Mais, fixant son regard, elle essayer de se convaincre que lui se lasserait d'abord.

Je ne faiblirait pas la première... Quelle ironie tiens...

Un souffle chaud vient alors lui démanger l'oreille, son premier reflexe fut de frapper puis se protéger. Son coup n'avait pas eut la puissance escompté, en fait, il avait eut sur l'homme l'effet inverse à celui recherché. La réaction de l'homme la laissa... sur le cul. Et ce n'est pas qu'une métaphore, puisqu'effectivement, s'étant levée, elle se laissa retomber sur le banc lorsque qu'il quémanda son aide en pleurant.

Mais t'es complètement barré !

Quelle réaction... Affreuse. La première pensée qu'Alaska eut en tête fut qu'il lui semblait se voir elle même. Cet être transpirant la faiblesse, les genoux a terre, suppliant de l'aide après un coup. Oui, c'était tout à fait elle. Alors, lorsqu'il lui pria de rester, Alaska s’exécuta.

Alaska Young, la fille qui reculait devant toute sorte de gentillesse, qui exécrait plus que tout l'altruisme, l'aide des autres, les paroles polies ou tout autre signe affectif d'autrui vers elle, accepta sans broncher cette demande et ne bougea pas. Pourquoi ? Peut être parce qu'il venait de lui renvoyer sa propre faiblesse en pleine figure, peut être parce qu'elle compatissait a ce qu'elle même avait vécu, peut être parce que ce comportement était trop intriguant pour être fuis ?

Quoi, t'es pas bien ou quoi ? Si c'est une méthode de drague l'effet est a revoir.

Elle était assise, mais avait reculé, évitant tout contact corporel comme un lapin fuyant le chasseur.
Avant tout comprendre, puis après, fuir, si besoin est.

Elle était restée, mais n'était pas pour autant rassurée, et il le savait, il la comprenait très bien. A sa place, Leopold serait sûrement partit, en la laissant crever.

"Je ... je me sens pas bien, comme si on avait modifié quelque chose en moi ... quand tu t'éloignes, je me sens mal, et ce depuis que je t'ai touché. Je crois que cet enculé de Doc m'a modifié pour s'amuser ... sûrement que toi aussi, et aussi la petite." dit-il péniblement, essayant de se relever. Il avait du mal, beaucoup de mal, il lui fallait sa dose, sa dose de ... et bien il ne savait pas vraiment comment appeler ça.

"Tu dois m'accompagner ... on doit aller voir ce Doc, il en sait plus et je veux savoir ce qu'il m'a fait !" insista-t-il en tombant sur le banc, il fut sonné, et s'appuya sur la jeune femme pour se relever.

*Punaise ... ça me fout mal ça ... d'un autre côté, j'ai l'impression que ça m'apaise quand je suis à côté d'elle ... dur dur d'être un rat de laboratoire* pensa-t-il en riant. C'était la seule chose qui lui restait, l'humour, dans une situation si dramatique. En effet, il ne s'était jamais senti aussi faible.

Il regarda encore la jeune femme, dévorant ses courbes du regard, ainsi que son visage, entre le dégoût et l'interrogation. Qu'est-ce qu'elle était belle, et pourtant elle semblait souffrir. Mais Leopold se demandait pourquoi il pensait à ça d'ailleurs, est-ce que cette modification devait le sensibiliser ? C'était un peu le genre de questions qui se bousculaient dans sa tête et bien qu'il essayait de rester maître de soi, quelque chose l'appelait vers elle. D'ailleurs, il ne connaissait même pas son nom. Il se redressa difficilement sur le banc et remit ses cheveux en arrière, il regarda encore la jeune femme et brisa le silence.

"Et sinon, tu t'appelles comment ? Car bon, si ce Doc m'a rendu accro à toi, faut au moins que je connaisse le nom de ma nouvelle drogue, histoire que je la conseille à mes connaissances en manque de sensation." fit-il en souriant, essayant de cacher ce sentiment de malaise par de l'humour.

Callie avait attendu avec appréhension, elle commençait à trouver ce silence gênant. Puis il y avec eut ce monsieur, un peu trop souriant, un peu trop... Elle ne savait pas exactement. Le fait est que son arrivée sur le banc déclencha chez Callie comme un mécanisme d'autodéfense. Elle s'endormit littéralement. Plongée dans une lourde torpeur, elle ne percevait plus rien du monde extérieur, il n'y avait plus que le néant confortable du sommeil profond.

Pourtant, assise sur le banc, la petite forme enfantine avait les yeux bien ouvert. Presque trop ouvert. Fixant un point droit devant elle, ses yeux exorbités, elle se balançait d'avant en arrière en tenant ses genoux. Ce manège durant moins d'une minute puis elle se leva. Le visage pale, les yeux grands ouvert, attentives à tout et le regard plus du tout aussi paisible qu'avant. Si l'on ne prenait que son visage en considération, on n'aurait même pas dit une enfant. Elle avait les traits de celle qui en a trop vécut.

Callie avait laissé la place à Rose. Et Rose n'était pas contente du tout d'avoir été depuis si longtemps oublié. Elle avait manquait beaucoup de chose, et avait décidait de rattraper le temps perdu.

D'abord, évacuer sa rage. Plus Rose était silencieuse et laissée au repos, plus ses interventions dans le corps de Callie étaient puissantes, et bien souvent devastatrices. La colère de la fillette, qu'on aurait presque du mal a appeler comme ça désormais, trouva son appaisement lorsque les mains précises de Rose entrèrent en contact avec ses propres avant bras. Laissant ses ongles glisser, d'abord avec légereté puis avec plus d'audace et de force jusqu'a se les enfoncer cruellement dans la chair tendre de son corps de gamine.

Le sang perla a plusieurs endroits.

C'est ce que Rose préférait.

Regarder les petites boules de sang se former, puis, lentement, les éclater une à une pour étaler le liquide pourpre. Laisser ses doigts s'humidifier puis les balader de long en large pour badigeonner son corps de trainées rougeâtres...

Le rituel terminé, Rose tourna son sourire inquiétant vers cette femme essayant tant bien que mal de cacher sa peur d'un homme, les genoux au sol, suppliant presque malgré lui un peu d'affection à une pure inconnue. Elle fit pivoter sa tête sur le côté, comme pour mieux comprendre puis s'approcha. Elle ne savait pas encore si elle interviendrait, elle n'arrivait pas encore a dire si elle en avait envie. Pour l'instant, elle se contenterait d'observer et d'écouter pendant que le sang de ses bras sèche et forme une seconde couche de peau. Puis lorsque la femme esquissa une parole elle lanca d'un voix enrouée :

Je sais ou il est. Mais je veux venir aussi.


A vrai dire, Rose ne savait pas ou Callaghan se cachait. Elle l'avait vu, l'avait entendu. Une seule fois. Mais en revanche, elle savait très bien comment entrer en contact avec lui. Ca lui était venu à l'esprit de suite, et elle savait que grace a cet homme et cette femme elle allait bientot se sentir mieux.

Après avoir exposé sa proposition, elle n'attendit pas de réponse, et se contenta pour passer un temps devenu pesant de fixer ses yeux dans ceux de l'homme agenouillé comme la provocation d'une enfant vers un homme qui en quelques secondes venait de perdre toute dignité. Les secondes qui passèrent semblèrent alors des heures...

Ça devenait presque malsain cette histoire. Comment ça "modifié" ? Cet homme était fou. Peut être même était ce la raison de sa présence ici, pensa Alaska. Il fallait qu'elle s'éloigne de lui. Pourtant, quelque chose la poussa à l'écouter plus attentivement.

"Toi aussi"... Avait elle distinguer sur ses lèvres avant qu'il ne se relève péniblement.

Elle se présenta et s'enquit à son tour de l'identité de son interlocuteur. Dans le même temps une réflexion poussa alors la jeune fille a chercher en elle quelque chose de différent, une quelconque sensation étrange. L'introspection ne fut pas longue mais Alaska eut le temps de passer en revue toutes les zones de son psychisme que sa conscience lui laissait percevoir puis elle regarda instinctivement ses mains, ses bras, à la recherche d'une anomalie. Rien. Elle était tout à fait normal ce qui la poussa a revenir sur sa première déduction : cet homme était fou.

Pourtant elle dut s'avouer que ce dénommé Léopold avait l'air convainquant. Presque trop même... Mais il fallait néanmoins se rendre à l'évidence : beaucoup de monde pouvait avoir l'air très persuasif, certaines personnes avaient même un don pour cela et s'en servaient volontiers pour des actes pas forcement nobles.

La prudence s'imposait toujours à l'esprit de la jeune fille. Troublée mais d'un pas décidé, elle se garda bien d'aller au delà des ennuis. Aller voir ce scientifique, c'était se jeter dans la gueule du loup. De plus la jeune femme ne se rappelait que trop bien sa désastreuse arrivée au Fort, et l'angoisse qui l'avait alors enveloppée lorsqu'elle avait été face à Callaghan dans le hall. Il avait une présence gênante et terriblement inquiétante. Même Léopold, pourtant pas à inspirer confiance, semblait beaucoup moins dangereux que le scientifique. Après tout, pour créer un endroit comme celui ci, il fallait vraiment avoir des idées malsaines... C'est donc avec le peu de conviction qu'elle su donner à sa voix qu'elle allait formuler une réponse négative lorsque Callie s'interposa en proposant d'une voix froidement déterminée son aide.

Même cette fillette n'avait pas peur. Alors pourquoi Alaska tremblait rien qu'a l'idée de revoir ce Callaghan ? Elle remarqua d'ailleurs que le simple fait d'évoquer son nom dans son esprit lui procura presque un frisson ridicule. Elle tourna la tête vers l'enfant d'un air réprobateur dans l'intention de la prévenir de la dangerosité d'une telle quête mais ses yeux furent glacés par le visage dur et inquiétant de Callie puis sur le sang séché sur ses bras, marqués de longues griffures. Le regard d'Alaska termina sa course sur les doigts de l'enfants, rouges, et sur ses ongles sales d'avoir plonger avec vigueur dans une chair fragile et ferme à la fois.

" Callie tu... tu vas bien ? "

Sa voix tremblante de stupéfaction n'attendit aucune réponse et elle se tourna vers Léopold.

" Désolé mais sans moi. Vous êtes... aussi dingues l'un que l'autre. Vous êtes complètements dingues... Personne n'a rien modifié en moi, et je pense pas que ça soit le cas pour vous non plus. Vous êtes juste comme ça de nature voilà tout ! "

Sans trop savoir pourquoi, la colère l'emporta, et son flot de parole sembla alors s’accroître proportionnellement a son énervement.

" Non mais quoi ? Tu crois que tu peux aller voir quelqu'un comme ça, faire ton gros dur et puis tout d'un coup jouer une pseudo lamentation, et attendre qu'elle te suive partout comme ton chien ? T'as qu'a prendre la gamine avec toi, elle a plus le profil. Fais gaffe, elle fait ses griffes partout. "

Il était assit, assez apaisé dans un sens, car il était à côté d'Alaska, mais il se sentait humilié, ce porc de Callaghan avait osé le toucher, toucher à ce qui le définissait. Il était maintenant obligé de rester à côté d'une personne, qu'il connaissait depuis cinq minutes et qui le prenait sûrement pour un fou. Que faire ? Il n'aimait pas tourner autour du pot, il fallait qu'il fasse quelque chose.

"Leopold ... moi c'est Leopold, du moins ce qu'il en reste ..." fit-il en crachant à terre.

Il avait vu du coin de l'oeil l'attitude assez particulière de la petite fille, était-elle folle ? Peut-être, il ne savait plus trop quoi penser, peut-être que c'était une modification du Doc. Du moins, il ne voulait pas se coltiner cette petite conne, il devait déjà se farcir Alaska, même si c'était encore assez sympa, une petite fille, c'était de trop.

Ensuite vint l'analyse de la jeune femme, elle les pensait fous, lui comme la peste. Peut-être avait-elle raison pour cette "Callie", mais pas pour lui. Il était parfaitement lui-même, sauf ce sentiment de dépendance qui l'envahissait en voyant Alaska. Ce n'était même pas de l'amour, ni de l'amitié, ni de l'appétit sexuel, c'était juste un "besoin" inexplicable, qui le rendait incroyablement faible, comme un chien voulant que son maître lui serve son pâté infâme. Mais elle changea de ton, devenant agressive, l'envoyant tout simplement chier, c'est peut-être ça que les gens ressentaient quand Leopold le faisait ? Mais c'était la goûte de trop, il devait réagir.

"Bon, ta gueule et écoute moi deux minutes ! Tu trouves vraiment normal que je me sois mit à tes pieds et que je t'ai demandé de l'aide ? Tu trouves vraiment normal que je me sente obligé de te sentir près de moi ? D'habitude, j'envois tout le monde chier, je me mets aux pieds de personne et surtout, surtout ... je ne ressens aucune dépendance à part à la drogue, à de l'alcool ou à une chatte ! Donc NON ! C'est pas normal ! Et tout ce que tu veux que ce bâtard de Callagahan nous a modifié ! Tout ça pour s'amuser ... c'est un homme blasé, un gars qui recherche à s'amuser, tout simplement. Ca se voit pourtant ? Non ? Je ne suis pas fou bordel, et je suis encore assez lucide pour voir qu'on nous a bricolé ! La preuve, t'as pas l'air du genre à t'énerver si facilement ... alors pourquoi tu t'es excitée contre nous deux ? Tu trouves pas ça bizarre ? Donc, tu vas m'accompagner, parce que sans toi, je sais pas continuer et tu vas venir avec moi parler à ce putain de Doc ! Compris ?!" monologua Leopold, quelque peu agacé par tout ce cirque, le sien compris.

En vérité, Alaska n'était pas plus convaincu de cette histoire de modification qu'avant la longue tirade de Léopold. Pas plus convaincu que du fait qu'elle soit pour le moment la seule personne saine d'esprit dans les alentours. Cette histoire d'enervement n'avait rien à voir. Tout le monde s'enerve. Et puis dans de tel circonstance, il y a de quoi. De toute façon, elle avait les nerfs fragiles. Voilà le genre de choses qu'Alaska se répéta dans son esprit.

Il y avait pourtant toujours cette phrase qui semblait tourner en rond et se cogner maladroitement contre les parois intérieurs de son crane : et si on avait vraiment modifié quelque chose en moi ?

Je suppose que de toute façon j'ai pas le choix ?

Elle fit une courte pause qui, dans d'autres circonstances, aurait pu paraître assez théâtrale, puis reprit :

En admettant que je te crois, ça veut dire que tu me lâcheras pas tant que je t'aurais pas accompagné voir le cinglé qui nous a amené ici ?

Après tout, elle n'avait pas a avoir peur. Le scientifique était peut être fou, mais Léopold avait l'air d'avoir des ressources. Du moins, elle espérait qu'il saurait se débrouiller pour les tirer d'ennuis dans lesquels il semblait inéluctable qu'il tombe, l’entraînant avec lui par la même occasion. Comme a son habitude, Alaska n'attendit pas de réponse et continua avec un calme notable, qui s'accorda mal avec la colère qui avait précédé quelques secondes plut tôt.

D'accord, je viens. Mais elle vient pas, je pense pas que ça te pose problème.

Elle désigna l'enfant, qui regardait fixement en attendant qu'on la suive.

Décidément, Alaska n'aimait pas les gens. Dès qu'elle s'accordait quelques minutes de sociabilité, quelque chose tournait mal. Adresser la parole à Callie et s'asseoir sur ce banc à ses côtés avait été son erreur du jour. Mais cela serait corrigé, une fois que Léopold aura été semé au croisement de n'importe quel couloir, la jeune femme partira en quête d'un lieu vide. Assez vide pour lui permettre de vivre. Aussi vide qu'elle.